Citoyens 2.0. Indignons-nous ! (carte blanche parue sur lesoir.be)

14 Septembre 2016
Domaine d'action: Internet

Patrick Charlier, directeur d’Unia, revient dans une carte blanche publiée sur le site du journal Le Soir sur ce qui s’est passé cet été avec plusieurs polémiques quant à la « montée » de propos racistes/xénophobes sur Internet.

Alors que l’été battait son plein et que l’actualité se résumait aux prévisions météorologiques et aux résultats des Jeux olympiques, la Belgique s’est réveillée, un beau matin, surprise de voir tant de propos racistes et intolérants proliférés sur Internet, tantôt en commentant la mort d’un jeune belge d’origine marocaine, tantôt en réagissant à la vidéo d’un adolescent fils d’Imam, et dernièrement en tentant un (mauvais) débat sur le burkini.

Chez Unia, nous ne sommes malheureusement pas surpris. C’est un fait, la parole raciste est plus violente qu’avant. Et elle a trouvé une caisse de résonance idéale avec Internet. La combinaison de l’instantanéité, qui court-circuite le temps, fût-il bref, de la réflexion, avec le caractère écrit, et potentiellement reproduit, accentue considérablement la visibilité des discours de haine et d’intolérance.

Si Internet n’en reste pas moins un espace de débat nécessaire aux idées et aux causes, certains individus abusent de sa force. Ils crient plus fort que les autres, jusqu’à assourdir les autres opinions, analyses ou réactions. Ils ont dévoyé la liberté d’expression !

Les réactions glaçantes que l’on a pu lire cet été ont replacé Internet face à ses démons.

Nous sommes aujourd’hui clairement à un moment charnière de la réflexion, qui ne pourra pas faire l’économie de la question du contrôle de ces contenus flirtant avec les limites de la Loi. Si pour certains, Internet doit rester un espace libre et ouvert, d’autres voix exigent une réponse ferme et davantage répressive. Autrement dit, rogner sur les libertés dans l’espoir d’apporter davantage de contrôle. Aujourd’hui, nous devons prendre la défense résolue de la liberté d’expression sur Internet face aux remises en cause dont elle fait l’objet.

En faisant d’Internet notre bête noire, nous nous trompons de cible. Ce moyen de communication n’est que le reflet des tensions qui habitent notre société. Même s’il peut parfois s’en faire une caisse de résonance, il n’en est en rien la cause.

Nous devons cesser de voir Internet avant tout comme une menace, pour réfléchir plutôt à la manière d’en faire une chance pour la cause en faveur de l’égalité et contre les discriminations. La priorité ne doit pas être de lutter contre le racisme sur Internet, mais par Internet, avec Internet, c’est-à-dire d’utiliser les formidables outils de mobilisation citoyenne dont il est le support pour créer un large mouvement de société capable de lutter contre les préjugés, de contrecarrer les propos de haine, de dénoncer l’instrumentalisation des différences, de déconstruire les interventions pseudo-intellectuelles qui dressent une partie des citoyens contre les autres. Répondre aux mots par les mots.

Il ne faut d’ailleurs pas assombrir le tableau : dans l’affaire du jeune Ramzi, décédé au Maroc, ils étaient très nombreux les citoyens à s’insurger contre le flot de haine et contrer les messages les plus abjects. Ils ont été nombreux, celles et ceux qui ont refusés de rester spectateur passif en exprimant leur attachement au vivre-ensemble. Ils ont été nombreux les citoyens à nous avoir signalé les commentaires racistes inacceptables. C’est pour eux et avec eux que nous devons construire l’Internet de demain.

Il serait toutefois injuste de faire peser la responsabilité sur les seules épaules, même virtuelles, des internautes. Si la mobilisation citoyenne est nécessaire, elle ne suffira pas. Nous invitons tous les acteurs concernés à une réflexion structurelle, sans œillères ou barrières idéologiques : les médias et les modérateurs des forums de discussion, les hébergeurs, les personnalités publiques ou responsables politiques, la police et le monde judiciaire. Nous devons tous nous engager concrètement, dans le dialogue et en étant innovant.

Nous sommes suffisamment nombreux à en avoir assez du racisme et de l’intolérance pour nous puissions collectivement battre en brèche la tendance à la xénophobie, aux replis identitaires, au rejet de l’autre, à la violence. C’est grâce à la liberté d’expression, de communication et d’association qu’il permet que nous pourrons œuvrer à une société dans laquelle l’on puisse, comme disait l’anthropologue Marcel Mauss, « s’opposer sans se massacrer ». Et ainsi porter l’espérance d’un vivre-ensemble.

Mais croire qu’il suffit d’un bouton « supprimer/signaler » pour effacer à jamais les racines de la défiance, de la peur et de l’intolérance ne serait qu’une chimère. Nous devons travailler ensemble pour que la voix la plus entendue soit celle de la tolérance et du respect.

A vos claviers !