L’affaire Assabyle

21 Juin 2006
Domaine d'action: Internet
Critère de discrimination: Racisme

La liberté d’expression et la liberté de culte s’arrêtent là où commence la propagation de la haine

Ce mercredi 21 juin, la 61ème Chambre du Tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné Abdel Rahman A. et Raphaël G., tous deux gestionnaires du site Internet Assabyle.com du Centre islamique belge (CIB) de Molenbeek, à 10 mois d’emprisonnement, dont 5 mois fermes, ainsi qu’à 15.000 € d’amende chacun, dans le procès qui leur était intenté pour antisémitisme, révisionnisme et incitation à la haine raciale (infraction à la loi de 1995 sur le négationnisme et à la loi de 1981 contre le racisme et l'incitation à la haine raciale).

Il s’agit d’une première condamnation liée à un site Internet hébergé en Belgique pour ce type d’infraction.

Le juge a estimé que le site contenait clairement des incitations à la haine contre le peuple israélien et les Juifs en général. Il a précisé que la liberté d’expression avait ses limites et que les antisémites ne pouvaient pas non plus se dissimuler derrière la liberté des cultes pour propager la haine raciale.

Par ailleurs, le jugement fait la part des choses entre ce qui relève de la critique de la politique du gouvernement israélien et les déclarations qui relèvent de l’antisémitisme. Il constitue une application claire de la loi sur le négationnisme, en confirmant qu’il y a minimisation des crimes nazis lorsqu’on les met sur le même pied que d’autres actes commis par des Etats, en l’occurrence ici par l’Etat d’Israël.

Après une plainte contre X du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, en mars 2002, des membres du Collectif Dialogue & Partage s’étaient portés parties civiles en 2003. Après l’instruction de l’affaire, ils ont été rejoints dans leur action par le Centre lui-même. En avril 2004, les deux gestionnaires du site Assabyle.com étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bruxelles.

Les poursuites portaient notamment sur une vidéo placée sur le site web dans laquelle un ancien ministre israélien des affaires étrangères était grossièrement comparé, par un montage vidéo, à Adolf Hitler. Slogan du film : « même racisme, même criminalité, même histoire ». La vidéo a été retirée en mai 2002 mais d’autres textes incitant à la haine raciale et à l’antisémitisme ont été placés sur le site. Parmi ceux-ci, on épinglera en particulier « La Fin du peuple d’Israël : une vérité coranique », qui, après avoir dit que les Juifs sont « un peuple déviant », « des gens lâches, consternants et faibles », « des gens indignes, désobéissants et transgresseurs », « des singes, des porcs », qui « ont encouru la malédiction et la colère d’Allah », précise qu’il faut combattre les Juifs au moyen « de destriers de guerre », avant de prophétiser : « Et par la suite, le peuple juif périra ».

Le procès a été émaillé d’incidents divers, nécessitant l’intervention à plusieurs reprises du Bâtonnier. L’avocat des prévenus avait notamment traité de « fasciste » et de « totalitaire » la loi belge réprimant la négation des crimes nazis. Sa plaidoirie s’est placée sur le terrain de la liberté d'expression, ce à quoi les avocats des parties civiles ont rétorqué qu'il ne s'agissait pas de porter atteinte à la liberté de religion, ni de brimer la liberté d'opinion, ni de museler l'expression, mais bien de sanctionner des amalgames qui jouent sur les émotions des gens, et des raccourcis qui minimisent le génocide subi par les Juifs.

Depuis qu'une action en justice a été intentée, Assabyle.com est hébergé en Asie sous un autre nom. Les poursuites seraient facilitées par une collaboration judiciaire internationale et même s’il y a des progrès dans ce domaine, le cas d’Assabyle illustre bien les questions qui restent à résoudre en matière de lutte contre la « cyberhaine ». C’est là le sens de toute l'importance accordée par le Centre à la sensibilisation, la conscientisation et à la médiation dans ce domaine, voire aux poursuites judiciaires dans des cas plus exceptionnels tels celui d’Assabyle.

Tant le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme que le Collectif Dialogue et Partage tiennent toutefois à rappeler que ce procès n’est nullement un procès contre l’Islam, ni contre les musulmans, ni contre la communauté issue de l’immigration arabo-musulmane, mais bien un procès contre les extrémistes qui instrumentalisent la religion pour inciter à la haine raciste, se rendant ainsi coupables de faits constitutifs de délit.

Le Centre a obtenu une indemnité de 2500 € tandis que les autres parties civiles ont obtenu 1 euro symbolique. Même si les parties peuvent encore faire appel, ce jugement constitue un signal important dans un contexte actuel de recrudescence des discours haineux sur Internet, qui contribuent à créer un climat de haine propice au passage à l'acte.

A ce sujet, le Plan d'action fédéral de lutte contre la violence inspirée par le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie prévoit d'accorder une attention toute particulière aux idéologies racistes et antisémites qui se propagent via Internet. La collaboration entre les divers partenaires de CYBERHATE, rassemblant des organismes tels que la FCCU (Federal Computer Crime Unit de la Police fédérale), l’ISPA (Internet Service Providers Association Belgium), le Collège des procureurs généraux, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme,…, s'est intensifiée. Le point de signalement, www.cyberhate.be réceptionne actuellement 10 messages par jour en moyenne.

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