Opinion: racisme 2.0, un racisme qui se recycle
Le 30 Juillet 1981, la loi anti-racisme entre en vigueur. Elle transpose, en droit belge, la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il y a vingt ans, en 1993, le parlement fonde le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme qui, prochainement, sera scindé en un Centre interfédéral anti-discrimination et un Centre fédéral migration. Ce vingtième anniversaire a été l'occasion d'une publication dans laquelle 20 ‘témoins’ ont posé leur regard sur les actions et positions du Centre dans le cadre de sa mission initiale : la lutte contre le racisme et pour l'égalité des chances. Chacun reconnait que le contexte social est différent aujourd’hui qu’il y a vingt ans et qu’il est important de le comprendre pour pouvoir le combattre de manière efficace.
Aujourd'hui, le racisme se recycle sous de nouvelles formes : un refus du fait migratoire, un rejet de l’islam et des tensions grandissantes dans une société plus diverse.
La migration zéro a toujours été une illusion, et même si les autorités ont abandonné ce mythe, les migrations et les migrants continuent de provoquer des discours et des attitudes négatives et hostiles. La réalité des migrations est pourtant largement méconnue. En effet, peu savent qu’aujourd’hui plus de deux tiers des migrants viennent de l’Europe et que seuls 9 % viennent du Maghreb et de la Turquie. De même, la grande majorité des ‘Maghrébins’ ou des ‘Turcs’ sont encore qualifiés ‘d’issus’ de la migration alors que leur parcours migratoire remonte à deux, trois voire même quatre générations. Les stéréotypes ont pourtant la vie dure à l’égard de ces communautés. Les chiffres parlent une nouvelle fois d'eux-mêmes : chaque étude nationale et internationale confirme leur position défavorable sur le marché de l’emploi et dans le secteur de l’enseignement.
L’islam est un culte reconnu en Belgique depuis 1974, mais depuis le 11 septembre l’islam est devenu une obsession. Il est perçu comme un système totalitaire incompatible avec ‘nos’ valeurs, alors qu’il n’y a pas un islam unique, mais des réalités diverses trop souvent méconnues, comme la réalité des migrations.
Cette double méconnaissance, qui nourrit les peurs, se traduit par un double fantasme. Le migrant est nécessairement un musulman et à ce titre il est un danger pour l’homogénéité de ‘notre’ société. Le musulman est nécessairement un migrant, et à ce titre il est condamné à rester étranger à ‘notre’ société.
Alors que la société dans laquelle nous vivons n’est plus blanche, masculine, chrétienne et hétérosexuelle, mais multiple, multiculturelle, multiconfessionnelle, cela crée inévitablement des tensions et de l’intolérance entre la majorité et les minorités, mais également entre les groupes minoritaires. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir des mêmes groupes, tantôt victimes de discrimination et tantôt intolérants vers d’autres groupes. Personne, aucun groupe ne peut se prévaloir d’une attitude naturellement tolérante.
S’il est nécessaire de mener une véritable politique migratoire et des actions déterminées pour lutter contre le racisme sous toutes ses formes (xénophobie, antisémitisme, islamophobie, racisme anti-noir,…) et à tout niveau, singulièrement au niveau local et dans la proximité, il ne faut pas perdre de vue que le combat devra d’abord être gagné, comme l’avait relevé le Commissariat royal à la politique des immigrés en 1992, dans les domaines de l’enseignement, du logement et de l’emploi. Ce sont ces politiques-là qui doivent garantir la participation de tous sans discrimination et sans exclusion.
Patrick Charlier, Directeur-adjoint
Cette carte blanche a paru aujourd'hui dans La Libre Belgique.
'20 ans d’action. 20 regards. Réflexions sur les premières missions du Centre'.
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