Une justice réparatrice et intégrative permettant de travailler sur les valeurs et attitudes

24 Septembre 2014
Domaine d'action: Vie en société

La contribution du Centre interfédéral pour l’égalité des chances « Vers des mesures alternatives pour certaines formes pénales de racisme et de discrimination », écrit pour le dossier du Vlaamse Vredesweek 2014, rend compte du sens et de l’utilité des mesures judiciaires alternatives pour certains délits de haine et discriminations. Face aux sanctions répressives du droit pénal classique, le Centre s’interroge sur les effets favorables pour la victime et l’auteur de la dimension éducative et restauratrice de ces mesures.

Afin de répondre aux besoins des auteurs et des victimes de certaines formes de racisme et de discrimination, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances a étudié la piste des mesures alternatives. Le Centre plaide pour un investissement dans ce type de mesures adaptées.

Une notion fondamentale : le motif abject

Une modification en profondeur de la législation relative au racisme et à la discrimination en 2003 et par la suite en 2007 a permis l’introduction d’une nouvelle notion de ‘motif abject’. Ceci implique la possibilité d’une condamnation à une peine plus lourde pour certains délits si l’un des motifs est la haine inspirée par un critère protégé par la loi. Ces décisions permettent de mettre l’accent sur le caractère intolérable des comportements et propos discriminatoires. Cependant, cette approche purement répressive n’est pas à elle seule suffisante pour apporter des réponses structurelles, durables aux délits inspirés par la haine. Les sanctions répressives ne répondent pas toujours au préjudice en particulier émotionnel que la victime a subi, ni au changement des mentalités des auteurs. Néanmoins, au-delà de la peine de prison et d’amende, le droit pénal belge offre d’autres possibilités et permet de mettre en exécution des mesures judicaires alternatives animées par une vision éducative et pédagogique. Cette approche combine deux piliers clés d’une action de justice réparatrice et intégrative : la dimension restauratrice vis-à-vis de la victime et éducative en ce qui concerne l’auteur des faits. Cette dernière dimension vaut aussi pour les discours de haine qui se propagent souvent par le biais d’internet.

Les mesures alternatives peuvent prendre plusieurs formes : une peine de travail, la prestation d’un service ou encore le suivi d’un parcours de formation. Le concept de médiation pénale constitue le cadre légal de ces mesures alternatives.

Le procureur du Roi peut ainsi proposer une médiation pénale lorsqu’il estime qu’il y a suffisamment d’éléments à l’encontre d’un suspect majeur et lorsqu’il est d’avis que le conflit peut encore être réglé sans l’intervention d’un juge. Par le biais d’un accord entre l’auteur de l’infraction et la victime, la médiation pénale tente de trouver une réponse réparatrice à un dommage matériel ou moral. Outre cette réparation, le procureur du Roi peut rajouter certaines conditions à l’égard de l’auteur (formation, travail d’intérêt général, traitement médical ou thérapie). La médiation pénale est par ailleurs une procédure volontaire, elle requiert donc l’accord et la participation active de toutes les parties.

Le Centre et la médiation pénale

Le Centre Interfédéral pour l’égalité des chances est aussi confronté dans sa pratique aux limites du droit pénal classique et son souci est d’explorer le rôle que peuvent jouer ces mesures dans la réparation des dommages liés aux délits de haine et aux discriminations. C’est dans ce sens que d’une part, le Centre a commandé une étude à la KU Leuven afin d’explorer les différentes possibilités de mise en œuvre des mesures alternatives et d’autre part a mis en place deux expériences pilotes de formation en la matière dans deux régions différentes. Nous nous limiterons dans cet article à vous exposer quelques éléments d’une des deux expériences.

Selon l’étude commandée par le Centre, les mesures alternatives peuvent s’avérer utiles parce qu’elles permettent de travailler sur les valeurs, les attitudes et les conceptions des auteurs, là où les sanctions classiques n’offrent que très peu de possibilités de s’attaquer aux motivations sous-jacentes animant les auteurs. Or, c’est en premier lieu l’attitude et les motivations des auteurs qui déterminent s’il s’agit d’une discrimination ou d’un délit de haine. Ainsi, pour s’attaquer aux sentiments de haine et à leurs conséquences, il faut pouvoir transformer les stéréotypes et les préjugés qui poussent à la haine. Une mesure de formation peut directement y contribuer, une peine de travail ou la prestation d’un service peut également indirectement avoir une influence sur ces processus via notamment la rencontre d’autres personnes que celles de l’entourage de l‘auteur. 

Si une mesure de formation peut directement conduire à une remise en question des stéréotypes et des préjugés, il n’existe pas en Belgique de programmes de formation qui soient directement destinés aux auteurs de délits de haine ou de discrimination. C’est une des raisons pour laquelle le Centre a mis en place les deux expériences pilotes en la matière. La mesure de formation contraint les auteurs qui incitent à la haine à suivre un processus d’apprentissage basé sur un contenu discuté à l’avance et structuré autour de la thématique en lien avec le délit. L’objectif est de mettre à disposition de l’auteur des connaissances, des pratiques en vue de favoriser une prise de conscience et un changement dans les comportements.

Le sens et l’utilité de la mesure de formation

Dans un dossier d’incitation à la haine et à la violence sur Internet dans lequel, l’auteur avait publié à de multiples reprises sur un lapse de temps relativement court des propos menaçants et appelant au meurtre des personnes d’origine arabe et de conviction musulmane sur son profil Facebook, le Centre a proposé une telle mesure de formation. Pour ce faire, en terme méthodologique, nous nous sommes inspirés principalement de la théorie de l’identité sociale. Cette théorie met en avant la thèse que le contact entre groupes entraine l’harmonie parce qu’il favorise la connaissance, et que la dévalorisation des autres groupes, l’ethnocentrisme est lié à l’ignorance. Brièvement exposée, elle suggère de travailler sur la coopération des groupes en dehors de toutes formes de compétition. Il s’agit d’amener les différents groupes (les intervenants, les jeunes d’origine étrangère, des adultes immigrés, l’auteur qui s’identifie à un groupe ‘’annoncé dans son discours comme : nous les Belges’’) à partager un objectif commun, à porter ensemble des activités communes, à se pencher sur les croyances, les valeurs, les stéréotypes du groupe qui est en face, sur ses réalités. La nature des rapports, des relations doit être déterminée par la compréhension objectivée de la situation qui permet la remise en question des catégorisations arbitraires (ex : ‘’tous les musulmans sont terroristes’’, ‘’tous les jeunes des descendants de l’immigration marocaine sont délinquants’’, ‘’tous les Belges sont racistes’’).

Les éléments de contenus

En terme pratique, la formation s’est basée sur quatre axes. Le premier axe concernait la déconstruction des stéréotypes et des préjugés via une réflexion sur le ‘Soi’ et le ‘Eux’. Le second axe était un axe théologique qui a été exploré à travers le dialogue interreligieux et l’interpénétration des sciences (arabe, occident). Le troisième axe était sociologique. L’accent a été mis sur deux dimensions liées entre elles : le quartier et ses habitants. Des habitants maghrébins musulmans dans des quartiers ‘fragilisés’, ‘défavorisés’ étaient associés dans le discours de l’auteur au danger, à l’envahissement, l’insécurité, la délinquance. Il fallait donc permettre à l’auteur de bien saisir ce qui se dit sur des quartiers et ses habitants et les représentations qui sont véhiculées sur ces zones urbaines difficiles à travers des événements parfois dramatiques (vols, violence). Il était nécessaire pour nous de lui faire découvrir « l’invisible ». Cela a été réalisé via deux immersions, l’une dans une maison de jeune, l’autre lors d’une fête de quartier. Les deux immersions ont suscité beaucoup d’intérêt et de remise en question de la part de l’auteur, il a pu questionner, observer les jeunes et leur contexte de vie. Il a pu discuter avec des adultes et des jeunes de manière spontanée sur la place publique lors d’une action festive qui a nécessité la mobilisation des gens et leur organisation pour la mise en place de la fête. Il a pu en quelques heures rentrer dans l’invisible dont parlait A. Jazouli, un invisible qui nuance les images, les clichés constamment véhiculés sur les quartiers populaires : homogénéité de leurs habitants, délinquance, absence de cohésion sociale, éclatement des repères des jeunes. Enfin le quatrième axe s’est articulé autour de la visite d’un lieu de culte. L’objectif pour l’accompagnateur de la visite a été de démontrer à l’auteur que rien n’est simple et que toute catégorisation simplifie les réalités et réduit leur complexité à un certain type d’événement.

L’évaluation par l’auteur

La formation a été perçue par l’auteur comme un élément déclencheur et a remis en question ses catégorisations : « c’est vrai que je mettais tout le monde dans le même sac », « je ne savais pas que des jeunes comme ça existaient au sein de la communauté marocaine, ils bougent pour un meilleur avenir malgré la haine ». Il a apprécié le parler vrai sur la complexité des identités des jeunes et leur insistance à vouloir être en phase avec chaque identité. Il a été satisfait des explications donnée sur l’islam « je ne connaissais que ce que je voyais dans certaines émissions TV ou ce que je lisais sur certains forum qui ont une visée et qui dénigre l’islam ». Globalement, l’auteur perçoit la formation comme un processus intéressant pour approcher les autres.

Les limites de la mesure

Bien évidemment, ce type de mesure alternative ne peut pas être appliquée à l’égard de tout type d’auteur. Comme le confirme le rapport, les auteurs des délits de haine et de discrimination ne doivent pas être considérés comme une catégorie indifférenciée. Selon McDevitt, il faut différencier les auteurs de délit de haine en fonction de leur motivation. Ainsi il distingue 4 catégories d’auteur : les auteurs en recherche de sensation (thrill), les auteurs défensifs (defensive), les auteurs en recherche de revanche (retaliatory), et les auteurs en mission (misison). Selon McDevitt encore, il faut également distinguer les auteurs en fonction de leur degré d’investissement. Il distingue ainsi les leader (leaders), les suiveurs (fellow travellers) et les participants non-volontaire (unwilling participants).

La propension au changement d’attitude et de comportement sera plus grande chez les participants non volontaires que chez les suiveurs. La résistance au changement sera la plus élevée chez les leaders. A côté de cela, les auteurs en recherche de sensation seront plus disposés à changer leur comportement que ceux qui pensent avoir pour mission de libérer le monde de groupes minoritaires ennemis. Au cours du projet pilote, le Centre a évidemment été attentif aux motivations de l’auteur qui a suivi la mesure de formation. Il s’est avéré que celui-ci se rapprochait le plus de l’idéal-type ‘en recherche de revanche’.

Néanmoins, la seule motivation de l’auteur à adhérer à la mesure et le fait qu’il soit identifié comme auteur ‘en recherche de revanche’ ne sont pas suffisants pour aspirer à la réussite de la formation. Le travail en amont, la qualité des intervenant, leurs capacités à remettre en question leurs cadre de référence, l’approche méthodologique employée, l’encadrement suffisant sont des éléments déterminants dans l’aboutissement de ce type de formation.

La proposition du Centre

Etant donné que le Centre constate que de très nombreux dossiers pénaux relatifs à des infractions à la loi antiracisme et à la loi anti-discrimination sont classés sans suite (surtout en matière de cyberhaine), étant donné que l’absence de signal émis à l’encontre des auteurs suscite un sentiment d’impunité, et étant donné que la recherche menée par la KUL et les expériences pilotes démontrent que les mesures alternatives peuvent avoir un impact positif à la fois sur l’auteur et la victime, le Centre insiste sur le fait qu’on investisse dans des mesures alternatives adaptées pour certaines formes pénales de racisme et de discrimination.