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Cour d'appel de Gand, 20 juin 2025

La cour d'appel de Gand confirme la condamnation du leader et de 5 membres du mouvement Schild & Vrienden pour incitation à la discrimination, à la ségrégation, à la haine et/ou à la violence, négationnisme, diffusion d'idées racistes et appartenance à un groupe raciste. Pour déterminer la peine, la cour d'appel tient compte du long délai qui s'est écoulé entre le début de la procédure et l'arrêt.

[Première instance: Tribunal correctionnel de Flandre orientale, division Gand, 12 mars 2024]

Publié : 20/06/2025
Domaine(s) : Média et médias sociaux, Société
Critère(s) de discrimination : Racisme, Pas de critère protégé
Infraction(s) à la loi : Autre, Discours de haine, Délit d’incitation, Interdiction de diffusion, Délit d’adhésion, Négationnisme
Pouvoir judicaire : Cour d'appel
Juridiction : Gand
Unia partie (civile) : oui

Les faits  

Le 5 septembre 2018, la VRT a diffusé un reportage sur le mouvement Schild & Vrienden (mouvement de jeunesse se réclamant de la droite nationaliste flamande). Ce reportage a révélé que, dans les groupes de discussion fermés de Schild & Vrienden, un très grand nombre de matériel raciste et négationniste était échangé. Après une enquête judiciaire approfondie, 7 prévenus ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel. Le 12 mars 2024, le tribunal correctionnel a condamné 6 prévenus à une peine d'emprisonnement et à une amende. Ces 6 prévenus ont interjeté appel contre le jugement. L'un d'eux a obtenu la faveur de la suspension du prononcé de la condamnation et n'était plus impliqué dans la procédure d'appel.

Unia, la Liga voor Mensenrechten, l'université de Gand et 2 personnes se sont constituées parties civiles dans cette affaire.

Qualification juridique  

Le ministère public a poursuivi les prévenus pour les charges suivantes :  

  • DVL, JVO, WD et JG pour : incitation à la discrimination ou à la ségrégation à l’égard d’un groupe, d’une communauté ou de leurs membres (article 20, 3° loi antiracisme) et incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe, d’une communauté ou de leurs membres (article 20, 4° loi antiracisme).
  • DVL, BS, JVO, YDS, AD et JG pour : nier, minimiser grossièrement, chercher à justifier ou approuver le génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale (article 1 loi négationnisme).
  • DVL pour : infraction à la loi réglant des activités économiques et individuelles avec des armes (loi sur les armes).
  • DVL, JVO, YDS, AD, WD et JG pour : diffuser des idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale (article 21 loi antiracisme).
  • DVL, BS, JVO, YDS, AD, WD et JG pour : faire partie de ou prêter son concours à une association qui, de manière manifeste et répétée, prône la discrimination ou la ségrégation (article 22 loi antiracisme).

Remarque préalable: les 2 visages de Schild & Vrienden

La cour d'appel constate que les prévenus ont entraîné de nombreuses personnes dans leur discours raciste et haineux. Ils l'ont fait de manière rusée et calculée, en se présentant différemment à l'extérieur et en interne. La cour d'appel souligne expressément les 2 visages de Schild & Vrienden :

  • D'une part, notamment dans la déclaration de mission et le manifeste de Schild & Vrienden, ils affirmaient à l'extérieur que leur objectif était de renforcer l'identité flamande et de rendre les jeunes Flamands plus résistants, par exemple en leur rappelant l'importance d'une bonne santé physique et mentale.
  • D'autre part, le discours tenu dans les groupes fermés Facebook et Discord, la longue période pendant laquelle les faits se sont produits et le nombre très élevé de messages racistes et de mèmes échangés montrent qu'en réalité, l'objectif était d'inciter la société, et les jeunes en particulier, à la haine et au mépris envers les "étrangers", considérés comme inférieurs. Ils estimaient pouvoir le faire en toute impunité, en partie sous le couvert de l'humour et via 2 réseaux sociaux qui, bien que n'étant pas accessibles à tout le monde, étaient néanmoins accessibles à un large public.

Décision 

La cour d'appel a estimé l'ensemble des préventions établies.

Faire partie d'un groupement ou d'une association qui prône le discrimination ou la ségrégation

La cour d'appel examine tout d'abord si DVL, BS, JVO, AD, WD et JG appartenaient à ou collaboraient avec un groupe ou une association qui prône de manière manifeste et répétée la discrimination ou la ségrégation raciale.

La cour d'appel constate que Schild & Vrienden était un groupe ou une association. Selon la cour d'appel, il ressort clairement des nombreux messages partagés dans les groupes Facebook et Discord (dont certains sont cités dans l'arrêt) que Schild & Vrienden avait pour objectif de discriminer et d'inciter à la haine. Plusieurs messages allaient encore plus loin et visaient à inciter à la violence, au moins en approuvant la violence à l'égard d'autres personnes d'origine non européenne. DVL conseillait par exemple aux membres de Schild & Vrienden d'apprendre à se servir d'armes à feu et de se préparer pour le jour où la violence serait nécessaire.

Les messages et les mèmes qui circulaient dans sur Facebook et Discord avaient un caractère public (voir ci-dessous: points d'attention). Ces messages, mais aussi d'autres documents, montrent que Schild & Vrienden prônait de manière manifeste et répétée la discrimination et la ségrégation.

La cour d'appel a ensuite établi, sur la base de différents éléments, que DVL, BS, JVO, AD, WD et JG appartenaient sciemment et volontairement à l'association Schild & Vrienden et y collaboraient.

[Pour le délit d'association, il est d'ailleurs sans importance que Schild & Vrienden elle-même, en tant qu'association, fasse l'objet de poursuites pénales. Le délit d'association n'exige pas non plus que les prévenus aient eux-mêmes publié des messages punissables, car le caractère punissable repose sur la preuve de l'appartenance ou de la collaboration à un groupe ou à une association.]

Incitation à la discrimination, ségrégation, haine et/ou violence

La cour d'appel estime que DVL, JVO, WD et JG ont incité à la discrimination, à la ségrégation, à la haine et/ou à la violence par leurs messages publiés dans les groupes Facebook et Discord.  Les prévenus ont envoyé leurs messages à ceux qui avaient accès à ces groupes avec l'intention particulière et l'intention délibérée d'inciter, d'encourager et d'exhorter les destinataires à la haine envers les étrangers, ou tout au moins de renforcer et d'attiser les sentiments de haine déjà existants. La cour d'appel le déduit non seulement du contenu de ces messages, mais aussi de leur caractère répétitif et de la fréquence élevée avec laquelle ils ont circulé sur une longue période.

DVL a non seulement publié lui-même des messages haineux, mais il a également incité d'autres personnes à le faire ou les a encouragées lorsqu'elles le faisaient. Il a mis les plateformes de communication à la disposition des membres de Schild & Vrienden, sachant pertinemment que des messages haineux y circulaient. Il n'a manifestement supprimé aucun de ces messages, alors qu'il en avait incontestablement la possibilité.  C'est pourquoi il a été condamné non seulement en tant qu'auteur, mais aussi en tant que coauteur.

Négationnisme

La cour d'appel estime que DVL, BS, JVO, AD et JG ont, par leurs messages publiés sur Facebook et Discord, minimisé de manière flagrante le génocide perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale par le régime national-socialiste allemand.

Le dossier pénal n'a pas révélé que DVL avait lui-même publié des messages ou des mèmes pouvant être qualifiés de négationnistes. Il a mis les plateformes de communication à la disposition des membres de Schild & Vrienden, sachant pertinemment que des messages négationnistes y circulaient. Il n'a manifestement fait supprimer aucun de ces messages, alors qu'il en avait incontestablement la possibilité. C'est pourquoi il a été condamné en tant que coauteur. BS, JVO, AD et JG ont été condamnés en tant qu'auteurs.

Diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale

La cour d'appel estime que DVL, JVO, AD, WD et JG ont, par leurs messages, diffusé des idées fondées sur la supériorité raciale ou la haine raciale. Les prévenus ont envoyé leurs messages avec l'intention particulière de diffuser l'idée d'une race blanche supérieure à leurs yeux, dans le but d'attiser la haine envers les étrangers. Pour les raisons susmentionnées, DVL a été condamné non seulement en tant qu'auteur, mais aussi en tant que coauteur.

[La cour d'appel souligne que les messages ont été rendus publics dans les groupes Facebook et Discord et que la condition de diffusion était donc remplie.]

Vente d'armes

DVL a finalement été condamné sur la base de la loi sur les armes. Il ressortait du dossier répressif que DVL avait posté des messages sur la vente de "pepper sprays" (sprays au gaz poivre lacrymogène).

Sanctions

La cour d'appel estime que le délai raisonnable a été dépassé. Elle réduit donc les peines de manière réelle et mesurable.

DVL était le fondateur et le leader de Schild & Vrienden. Il jouait un rôle de pionnier et était celui que les autres admiraient. Selon la cour d'appel, sa part dans les infractions est la plus importante. Les autres prévenus ne peuvent pas être considérés comme de simples suiveurs. Leur propre rôle et leur responsabilité sont loin d'être négligeables. BS, par exemple, était proche de DVL et a joué un rôle important dans l'élaboration de la politique de Schild & Vrienden. BS, JVO et AD étaient modérateurs des plateformes de communication.

  • DVL a été condamné à un an de prison (avec un sursis de 3 ans) et à une amende de 1.600 euros.
  • BS a été condamné à une peine de travail de 80 heures et à une amende de 1.600 euros.
  • JVO a été condamné à une peine de travail de 60 heures et à une amende de 1.600 euros.
  • ADV et JG ont chacun été condamnés à 3 mois de prison (avec un sursis de 3 ans) et à une amende de 1.600 euros.
  • WD a bénéficié d'une suspension simple pendant une période probatoire de 3 ans.

Parties civiles

Unia et l'Université de Gand ont reçu des dommages et intérêts de 500 euros. La Liga voor Mensenrechten s'est vu accorder des dommages et intérêts d'un montant de 1 euro. Les 2 personnes qui s'étaient portées parties civiles en leur nom propre ont obtenu des dommages et intérêts de, respectivement, 1 euro et 500 euros. 

Points d'attention

  • Les prévenus s'étaient défendus en arguant que les messages n'étaient que des « plaisanteries ». La cour d'appel constate que ce soi-disant "humour" n'était qu'un moyen de faire passer le message. Elle renvoie par exemple au message suivant publié dans le groupe Discord : "Nous (les jeunes de droite) utilisons des mèmes pour diffuser nos idées politiquement incorrectes auprès du grand public." Selon la cour d'appel, on ne peut se cacher derrière l'humour lorsque l'intention réelle est d'inciter à la haine. D'ailleurs, les groupes Facebook et Discord ne partageaient pas seulement des messages soi-disant "humoristiques", mais aussi de nombreux messages "ordinaires" dans lesquels le racisme et la discrimination étaient prônés.
  • Les groupes Facebook et Discord étaient des groupes fermés. La cour d'appel estime que ces groupes satisfont à l'exigence de publicité prévue à l'article 444, al. 6, du Code pénal, qui fait référence aux écrits qui ne sont pas rendus publics, mais qui sont envoyés ou communiqués à plusieurs personnes. Cela vaut également pour les mèmes. Les mèmes retenus par la cour d'appel sont tous accompagnés d'un texte écrit et forment un tout avec ce texte. L'article 444, al. 6, du Code pénal n'exige pas que les messages soient adressés à des destinataires bien déterminés et nommément désignés. Le groupe Facebook comptait au moins 750 membres et le groupe Discord au moins 163 membres. Les expéditeurs savaient que les messages seraient en tout état de cause lus par un grand nombre de destinataires.
  • Dans les groupes Facebook et Discord de Schild & Vrienden, des messages sur les musulmans ont été partagés. La cour d'appel souligne que de tels messages peuvent être motivés par le racisme : “La cour constate que, dans les messages cités ci-dessus (et plus loin dans l'arrêt), lorsque l'on parle des musulmans, Schild & Vrienden a également tenté d'attiser la haine et les sentiments de rejet à l'égard des peuples maghrébins, non seulement en raison de leurs convictions religieuses, mais aussi parce qu'ils appartiennent à un groupe ethnique différent de celui des Européens blancs et se caractérisent par une couleur de peau différente.

Unia était partie à la cause.

En abrégé: C.A. Gand, 20-6-2025 - Numéro de rôle 2024/NT/535

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