La diversité religieuse dans le secteur public

Un·e employeur·se dans le secteur public peut-il·elle interdire à ses agents de porter des signes religieux ? Quelles sont les règles ? Qu’est-ce que le principe de neutralité et pourquoi est-il important pour les agents de la fonction publique ?

Tout comme un·e employeur·se privé·e, un·e employeur·se public·que a le droit de recruter le·la travailleur·se qui convient le mieux à une fonction vacante (‘liberté contractuelle’) et de définir des règles internes relatives à l’aspect et la tenue vestimentaire de ses travailleurs·se (‘autorité de l’employeur·se·’). Toutefois, les fonctionnaires ont également des droits : ils·elles ne peuvent pas être traité·e·s de manière défavorable (aussi bien lors du recrutement que dans l’exercice de l’emploi et lors du licenciement), en raison entre autres de leur conviction philosophique ou religieuse.

Un·e employeur·se public·que ne peut interdire les signes philosophiques ou religieux sur le lieu de travail que dans des conditions très strictes. Les règles applicables au secteur privé valent donc aussi pour le secteur public. En outre, les employeur·se·s dans le secteur public peuvent également invoquer le principe de neutralité.

Le principe de neutralité

Le principe de neutralité implique que l’État est neutre et que les agents des services publics doivent agir de manière neutre. Cela signifie que leurs convictions ne peuvent pas influencer la manière dont ils traitent les citoyen·ne·s et que tous les citoyen·ne·s doivent être traité·ée·s de manière égale, quelles que soient leurs convictions. Ce principe est souvent invoqué pour imposer des règles relatives au port de signes philosophiques ou religieux par des agents de la fonction publique.

Neutralité exclusive ou inclusive

Le principe de neutralité n’est pas explicitement repris dans la Constitution. Il y a cependant plusieurs textes de lois et décrets relatifs au statut des fonctionnaires qui consacrent la neutralité de ceux·celles-ci. Mais ils ne précisent pas l’interprétation qui doit être donnée à ce principe de neutralité des pouvoirs publics.

C’est pourquoi il existe diverses interprétations de ce principe de neutralité.

Neutralité exclusive

La neutralité exclusive consiste à interdire tous les signes philosophiques ou religieux afin d’assurer une certaine cohésion interne entre tous les agents de la fonction publique.

Cette interprétation implique que :

  • l’interdiction de manifester sa conviction philosophique ou religieuse s’applique à tou·te·s les fonctionnaires;
  • non seulement le service fourni par le·la fonctionnaire doit être neutre, mais aussi l’apparence du·de la fonctionnaire lui·elle-même. L’autorité du fonctionnaire est liée à l’apparence qu’il·elle donne en public.

Exemple : la STIB-MIVB interdit à tou·te·s ses collaborateur·rice·s, quelle que soit la fonction qu’ils·elles exercent, de porter des signes philosophiques ou religieux.

Neutralité inclusive

La neutralité inclusive, en revanche, autorise le port de signes philosophiques ou religieux. Elle part du principe que les agents qui représentent la fonction publique peuvent être un reflet de la diversité de la société. Cette interprétation implique que :

  • il n’y ait pas d’interdiction pour les fonctionnaires de porter des signes extérieurs de leur conviction philosophique ou religieuse et tous les signes extérieurs sont autorisés ;
  • seul le service fourni, et donc pas l’apparence du·de la fonctionnaire, doit être neutre.

Exemple : la Ville de Malines indique dans son code déontologique : “(… ) La neutralité doit émaner des actes et non de l’apparence des agents. C’est pourquoi il n’y a pas de restriction au port de signes convictionnels et ce, quelle que soit la fonction, sauf en cas de violation de la loi ou de l’ordre public (voir art. 104 et 105 du Règlement général administratif de police) ou en cas d’atteinte à la sécurité et à l’hygiène. Aucune plainte de citoyens/usagers ne peut donner lieu à une révision de ces instructions.”

… ou entre les deux

Des conceptions intermédiaires de la neutralité, à mi-chemin entre la neutralité inclusive et exclusive, sont bien sûr aussi possibles. Un service public peut par exemple décider de n’interdire les signes philosophiques et religieux qu’aux agents de première ligne ou à ceux·celles qui exercent une autorité vis-à-vis des citoyen·ne·s (comme les agents de police, les magistrats,…).

Exemple : la Ville d’Anvers interdit les signes extérieurs de convictions philosophiques, religieuses, politiques, syndicales, sportives… durant les heures de travail pour le personnel qui est en contact direct avec le public, des usagers ou des partenaires externes. Le reste du personnel doit veiller à porter “des vêtements corrects et discrets, donnant une image de courtoisie. Les hommes peuvent par exemple porter une boucle d’oreille, mais pas un piercing voyant au nez. Un foulard est aussi autorisé, mais pas un voile intégral.”

Pour quelle interprétation de la neutralité opter ?

L’État peut donc choisir de quelle manière il interprète le principe de neutralité. Pour ce faire, il doit cependant tenir compte :

  • des droits fondamentaux ou des droits humains applicables (liberté de religion, législation antidiscrimination,…) ;
  • de la finalité ou de l’objectif du principe de neutralité (la neutralité n’est pas un but en soi, mais un moyen pour garantir l’égalité entre les citoyen·ne·s et pour permettre la séparation formelle entre l’État et les courants philosophiques et religieux. Elle est donc étroitement liée au principe d’égalité de traitement et de non-discrimination) ;
  • de la fonction d’exemple des services publics : ils ne peuvent pas céder aux préjugés (discriminatoires) des citoyen·ne·s ;
  • du caractère nécessaire ou non d’une interdiction des signes philosophiques ou religieux : il convient de vérifier si l’attitude ou l’apparence du·de la fonctionnaire peut réellement susciter concrètement une apparence de partialité.

Les pouvoirs publics peuvent-ils imposer aux fonctionnaires une interdiction générale des signes extérieurs ?

Dans un arrêt (Cour de justice 28 novembre 2023, C-148/22), la Cour de Justice a estimé que les autorités publiques peuvent choisir d'imposer ou non une interdiction du port des symboles philosophiques ou religieux à leur personnel. Les pouvoirs publics bénéficient en effet d’une marge d’appréciation sur la conception de la neutralité qu’ils souhaitent promouvoir en fonction de la place qu’ils entendent accorder aux convictions. Les services publics peuvent toujours opter pour une neutralité inclusive, ce qui signifie qu'une interdiction ne doit pas être obligatoire.

La Cour indique également que la politique de stricte neutralité qu'une administration publique impose à son personnel afin d'obtenir un environnement administratif totalement neutre peut être considérée comme objectivement justifiée par un but légitime. Si une administration publique opte pour une interdiction générale, quelle que soit la fonction exercée, cette politique doit être appliquée de manière cohérente et systématique, et l'interdiction doit être limitée au strict nécessaire.

En outre, une approche différenciée tenant compte de la nature de la fonction ou du contexte dans lequel elle est exercée est également possible selon la Cour. Là encore, les conditions sont que cette politique soit appliquée de manière cohérente et systématique et que l'interdiction soit limitée au strict nécessaire. Opter pour une approche différenciée soulève aussi des questions supplémentaires pour la direction, qui doit par exemple tenir compte des possibilités de promotion des agents qui portent des symboles philosophiques ou religieux, de leurs possibilités de mobilité interne et du fait qu’il risque d’y avoir peu de diversité dans cette catégorie d’emplois (ceux qui impliqueraient par exemple une fonction d’autorité ou qui serait en contact direct avec le public).

Unia plaide pour l'inclusion et estime que les institutions publiques doivent refléter la société. Un service adéquat et neutre peut être garanti en mettant l'accent sur la neutralité des actes posés par les fonctionnaires. De plus, l'accès à l'emploi devrait être garanti pour tous les groupes.

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