Guichet des étrangers : lettre ouverte à l’administration communale d’Anvers

22 Février 2013

Lettre ouverte à l'administration communale d'Anvers

Monsieur le Bourgmestre, Mesdames et Messieurs les Échevins, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil communal,

« Le Collège approuve les frais de dossier au guichet des étrangers » : tel était en substance le communiqué émis le 8 février dernier par le Collège sur sa proposition de facturer 250 Euros, à partir du 1er mai, pour toute première inscription au guichet des étrangers, à quelques exceptions près, alors que c’est actuellement gratuit. La proposition sera présentée au conseil communal le 25 février.

Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme a reçu du parlement la mission légale de promouvoir l'égalité des chances et de lutter contre toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence fondée notamment sur la nationalité. Il s'est également vu confier la mission de veiller au respect des droits fondamentaux des étrangers sur le territoire national. À cet effet, le Centre est habilité à mener toutes les enquêtes nécessaires et à soumettre aux autorités toute recommandation visant à améliorer la réglementation en la matière. Lorsque le Centre rapporte des faits qui traduisent un soupçon de discrimination, il peut demander des éclaircissements aux autorités compétentes. Le Centre a demandé à plusieurs reprises aux autorités municipales des informations plus détaillées sur l’augmentation des frais de dossier. Sans aucune réponse. Nous sommes dès lors contraints à ce stade de baser notre analyse, au conditionnel, sur des informations indirectes, peut-être incomplètes.

Les informations à notre disposition soulèvent de sérieuses questions quant à la légalité de la mesure envisagée, tant à l'égard de la législation antidiscrimination que de la Constitution ou de la réglementation européenne. Le principe qui y est posé est le suivant : aucune distinction fondée sur la nationalité ne peut être faite dans la mise à disposition de biens et de services. Des exceptions sont possibles pour autant qu'il y ait un objectif légitime et que la mesure soit appropriée et nécessaire – donc proportionnelle.

Le Collège des bourgmestre et échevins anversois a avancé le coût administratif, pour une première inscription, comme justification de l’augmentation des frais d’inscription. Cependant les motifs (strictement) budgétaires ne peuvent être acceptés comme but légitime d'une distinction fondée sur la nationalité. La jurisprudence internationale considère la nationalité comme un critère suspect lorsqu'il est utilisé en dehors du strict contexte du droit de l'immigration. La question de la légitimité et de la proportionnalité se pose avec d'autant plus d'acuité lorsqu'on examine la liste des prestations censées justifier cette nouvelle redevance. Pourquoi un étranger devrait-il payer le contrôle du logement (qui relève par ailleurs des frais de personnel), les frais liés à un bâtiment et le support ICT, … alors que ces frais ne sont pas plus élevés que pour les Belges ? En cas de doute sur la validité des documents, la commune fait appel au parquet : pourquoi devrait-elle demander des frais pour cela ?

Mais quand bien même les motifs budgétaires légitimeraient cette mesure, l’ampleur des frais est-elle proportionnelle ? L'inscription n'est pas un service facultatif, fourni dans le pur intérêt ou avantage individuel du nouvel arrivant : il s'agit d'une obligation légale qui incombe – à juste titre – à chacun. Pour les Belges qui n'ont pas encore résidé en Belgique, des prestations supplémentaires sont parfois nécessaires : pourquoi cela reste-t-il gratuit pour eux ? Et à l'inverse : pour les étrangers détenteurs d'un visa D « regroupement familial », la quasi-totalité du travail administratif est effectuée par les ambassades de leur pays d'origine : au nom de quoi devraient-ils donc payer 250 € ? Quid des étrangers qui ont été radiés d'office : doivent-ils payer deux fois 250 € ? Quid encore des Belges qui adoptent un enfant étranger : l'inscription de leur enfant se chiffrera-t-elle bientôt à 250 € ? Est-ce que les familles nombreuses devront payer plusieurs fois 250 € alors que les frais ne seront pas multipliés : peut-on encore parler de proportionnalité ? Et qu’en est-il des groupes plus vulnérables ? Les étudiants étrangers encadrés par l'Associatie Universiteit-Hogeschool Antwerpen (Association Université & Écoles supérieures d'Anvers) bénéficient d'une exception : parce que cette association se charge d'une partie de l'administration ; parce que leur séjour est de courte durée (ce qui ne fait pas baisser les frais) ; et parce que la ville d’Anvers veut se positionner comme une ville estudiantine au rayonnement international. Il est frappant de constater que cette préoccupation est absente lorsqu'il s'agit de travailleurs et de cadres : la ville d'Anvers ne se veut-elle pas attrayante pour les entreprises internationales ?

À toutes ces questions, il manque encore une réponse valable aujourd'hui, ce qui amènerait sans doute n'importe quel juge à conclure que ce règlement constitue une discrimination directe fondée sur la nationalité. Comme cela a été énoncé ci-dessus, ce règlement va également à l'encontre de la Constitution et de la réglementation européenne. Pour établir une distinction entre catégories d'étrangers, l'article 191 de la Constitution est, entre autres, d’application. Celui-ci stipule que les seules exceptions au principe de traitement égalitaire sont celles fixées par la loi : un règlement communal fixant une redevance n’est pas une loi. La directive européenne 2004/38/CE stipule, dans son article 25, qu'une déclaration d'inscription pour les citoyens de l'UE doit être gratuite, ou ne peut être plus chère que pour les ressortissants de l'État d'accueil.

Le Centre constate que les droits fondamentaux, les libertés et le traitement égalitaire subissent, dans notre société, la pression de l’austérité budgétaire. C’est pourquoi le Centre met son expertise en matière de discrimination et de droits fondamentaux des étrangers à la disposition des acteurs publics et privés, afin d'éviter qu'ils ne prennent pas des décisions contraires aux textes de loi. Nous la mettons à l'entière disposition de l'administration communale d'Anvers.

Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs, l'expression de ma considération la plus distinguée.

Edouard Delruelle, directeur adjoint

Jozef De Witte, directeur

Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme