Le rejet de l’autre s’exprime davantage dans l’espace public

24 Février 2016

Selon ses premiers chiffres, Unia a été sollicité 4.554 fois en 2015, ce qui a mené à l'ouverture de 1.596 dossiers. Jamais les dossiers relatifs aux discours de haine (incitation à la haine et délits de haine) n’avaient été aussi nombreux. Ils représentaient près de 30% du total des dossiers ouverts par Unia l'année dernière. Le racisme, l’homophobie, le rejet de l’autre, s’expriment aujourd’hui davantage et plus librement dans l’espace public.

Depuis 2010, Unia constate une augmentation constante des dossiers liés à « l’incitation à la haine » et les « délits de haine » (autrement dit les délits inspirés par la haine d’un groupe caractérisé par son origine, sa religion, son orientation sexuelle,…). En 2015, Unia a enregistré 404 dossiers « incitation », contre 338 en 2010. Quant aux dossiers liés aux délits de haine, ils sont passés de 48 en 2010 à 84 en 2015.

Par ailleurs, les principaux critères de discrimination étaient en 2015 les critères raciaux (38% des dossiers en 2015 contre 42% en 2014), le handicap (22% contre 20% en 2014) et les convictions religieuses ou philosophiques (19% contre 16% en 2014). Les dossiers ouverts en raison de l’orientation sexuelle représentent 5% de l'ensemble.
Au niveau des secteurs, les dossiers ouverts par Unia se répartissent comme suit : 383 dossiers, soit 24% de l’ensemble, concernent le secteur des biens et services. Il s’agit en grande partie de dossiers liés à de la discrimination dans le logement, les transports et les banques et assurances. Un autre quart des dossiers concernent les médias (365 dossiers, soit 23%). Il s’agit essentiellement de dossiers liés à internet (91%). 341 autres dossiers concernent le secteur de l’emploi (soit 21%). Les secteurs « enseignement » et « vie en société » sont en augmentation, avec respectivement 169 et 154 dossiers.

Les positions se polarisent, les distances augmentent

Les chiffres sont donc avant tout le reflet de la période de crispation que traverse la société. "La Belgique est un petit pays, mais les distances se creusent", observe Patrick Charlier, directeur d'Unia. "Les paroles et les comportements de haine se libèrent. Il y a une montée des égoïsmes et un repli sur soi. Les attentats en France et l’augmentation des demandes d’asile n'ont pas eu pour effet une augmentation massive des signalements relatifs à des comportements racistes, de part et d'autre. Mais nous avons dû ouvrir des dossiers sur des faits particulièrement graves. Les insultes ont fait place aux menaces de mort, des agressions sont commises, sur des lieux de culte mais aussi en rue ou dans des cafés, les relations avec la police sont tendues, … »

Pour rappel, selon un sondage commandité en 2009 par le Centre sur l’attitude des Belges face aux minorités, 6 personnes sur 10 avaient estimé que des comportements racistes pouvaient se justifier dans certaines circonstances. « Nous formulons donc l'hypothèse d'une tolérance plus grande par rapport à un « racisme ambiant », ce qu'il faut justement éviter. Les comportements racistes, qui plus est interdits par la loi, ne doivent jamais être minimisés. Le niveau de vigilance doit être relevé par rapport au vivre-ensemble, et pas uniquement par rapport au phénomène de radicalisme religieux", ajoute Patrick Charlier.

Par ailleurs, Unia est régulièrement sollicité par rapport à des expressions de haine dans le discours public, dont les discours politiques. Et ceci à double titre : soit parce que ceux-ci jouent la carte de la récupération, de la provocation et ne font pas preuve de respect dans les mots qu’ils utilisent. Soit parce qu’ils ne condamnent pas fermement et systématiquement ces propos. « Ceux-ci ne sont pas toujours condamnables sur le plan juridique, mais certainement sur le plan moral et déontologique. Par ailleurs, ces discours jouent régulièrement la carte du « pour ou contre ou du « eux et nous »», qui enferme la société dans des débats stériles. La tribune dont jouissent ces hommes et femmes politiques doit donc être assortie d’une plus grande responsabilité », estime Patrick Charlier.

Les chiffres dans le détail

1.596 dossiers ouverts

Pour rappel, le Centre est juridiquement compétent pour traiter un signalement qui peut donner lieu à l’ouverture d’un dossier. En 2015, 1.596 dossiers ont été ouverts, contre 1.670 en 2014. C’est à Anvers (231 dossiers soit 19%) qu’ont été ouvert le plus de dossiers, devant Bruxelles (199, soit 16%), la Flandre occidentale (174, soit 14%) et le Brabant flamand (147, soit 12%). Les 3 principaux critères de discrimination ont été en 2015 :

- Les critères raciaux (38% des dossiers en 2015 contre 42% en 2014)
- Le handicap (22% contre 20%)
- Les convictions religieuses ou philosophiques (19% contre 16% en 2014)

En chiffres absolus, les dossiers liés aux critères dits « raciaux » (prétendue race, couleur de peau, nationalité, ascendance (origine juive) et origine nationale ou ethnique) sont passés de 764 en 2014 à 661 en 2015. Si on analyse ces chiffres sur une période de 5 ans, on peut parler de stabilisation (627 dossiers en 2010).

On peut également peut affirmer que la baisse des cas de discrimination en raison de critères dits "raciaux" est à mettre en relation avec l’augmentation des cas de discrimination sur base de critères religieux et convictionnels. Une tendance marquée sur les 5 dernières années puisqu’on passe de 185 dossiers "convictions" en 2010 à 330 dossiers en 2015, soit une hausse de 78% ! « Le racisme s’exprime aujourd’hui davantage par rapport à la culture et la religion, en lieu et place d’un racisme « classique » fondé sur la couleur de peau ou la nationalité. » Et ce sont surtout les personnes de confessions musulmanes qui sont touchées puisqu’elles représentent 93% des dossiers ouverts en 2015.

Les signalements liés à l’antisémitisme sont en diminution (57 signalements, qui ont donné lieu à l’ouverture de 20 dossiers), après une année noire (130 signalements en 2014). Tant les agressions sur la voie publique que le discours de haine en ligne sont en diminution. « Le racisme s’exprime envers une personne ou un groupe perçu comme étranger », rappelle Patrick Charlier. « Chez certains, il s’exprimera tantôt envers les juifs, tantôt envers les musulmans ou encore les migrants ou les Roms,… Le lien avec l’actualité nationale et internationale est étroit. Notons aussi que les lieux fréquentés par les juifs font l'objet d'une surveillance plus importante depuis l’attentat au Musée Juif, ce qui peut aussi expliquer une diminution des actes délictueux » .

Les dossiers ouverts en raison d’un handicap sont aussi en constante augmentation ces dernières années (de 286 dossiers en 2013 à 384 en 2015). « Cela ne traduit pas nécessairement une tendance de la société à discriminer plus les personnes handicapées. Le Centre est surtout de plus en plus identifié comme un acteur dans la lutte contre les discriminations basées sur un handicap, particulièrement depuis qu'il est chargé du suivi de l’application de la Convention des Nations Unies relatives aux Droits des Personnes handicapées. Cela traduit aussi une prise de conscience, par les personnes directement visées mais aussi lentement par la société, que les personnes handicapées ont des droits. Elles les revendiquent davantage, les affirment, notamment grâce à l’action et au soutien des associations spécialisées. » Notons que c’est principalement sur le marché des biens et des services et dans l’enseignement que les personnes handicapées se font le plus souvent discriminer.

Les dossiers liés à l’orientation sexuelle sont en augmentation : 92 en 2015, soit 12 de plus qu'en 2014. On pourrait ici aussi parler de stabilisation sur une période de 5 ans (85 dossiers en 2010), si ce n’est que les dernières années ont vu le nombre d’agressions violentes augmenter, particulièrement en 2012-2013. Tout se passe comme si, face à l'acceptation croissante de l'homosexualité dans le débat public, on assistait à un durcissement de l'homophobie chez certains. Il y a eu, en 2015, pas moins de 7 condamnations pour des faits homophobes. Ajoutons à cela que le phénomène de sous-rapportage de la discrimination de type homophobe (en ce compris les faits de harcèlement) continue de s’observer.

Dossiers par secteur

Les discriminations dans l’accès aux biens et aux services représentent encore le plus grand nombre de dossiers ouverts par Unia en 2015. C’est surtout dans le logement que les dossiers sont les plus nombreux (42% des dossiers). Les critères principalement concernés sont le handicap (33% des dossiers), les critères dits « raciaux » (27%), mais aussi la fortune, autrement dit les ressources financières (17%). Notons à cet égard qu’un tribunal belge (Namur) a, pour la première fois, constaté l’existence d’une discrimination sur base de la fortune dans la mise en location d’un logement. « Cette décision est très importante, surtout quand on connaît l’ampleur de l’exclusion des allocataires sociaux sur le marché locatif, notamment privé. »

Sur le marqué de l’emploi, on observe pour la première fois une baisse significative des dossiers de discrimination (341 dossiers ouverts en 2015, contre 392 en 2014, soit une baisse de 15%). « Il est pourtant difficile de conclure à une diminution réelle, nos chiffres n’étant qu’une photographie partielle à un moment donné. Il sera intéressant de vérifier cette baisse l’année prochaine ». Dans ce secteur de l’emploi, Unia pointe la problématique de la discrimination dans le secteur public qui représente 31% des dossiers, entre autres liés au handicap. « C’est clairement trop. Les administrations publiques doivent être exemplaires en la matière », estime Patrick Charlier.

Autre secteur, celui des médias où on constate une nouvelle augmentation (365 dossiers en 2015 contre 339 en 2014). Une augmentation qui se confirme d’année en année puisque depuis 2010, la hausse est de 28%. En ligne de mire : Internet qui représente 92% des dossiers, avec une hausse marquée des dossiers liés aux médias sociaux (36 dossiers ouverts en 2010 et 126 en 2015 rien que pour Facebook et Twitter). Dans la très grande majorité des cas pour des propos discriminants basés sur l’origine ethnique ou la conviction religieuse (91% des cas !).

Les secteurs de l’enseignement (161 dossiers) et de la protection sociale (47 dossiers) sont en augmentation. « Cette augmentation s’explique peut-être en partie par une meilleure notoriété du Centre dans les secteurs concernés, mais elle devra faire l’objet de toute notre attention si elle devait se confirmer et traduire un problème structurel. » Le domaine de « La vie en société » connait aussi une hausse des dossiers de discrimination (154 dossiers ouverts en 2015 contre 146 en 2014, et 103 en 2010). 85% des dossiers concernent des conflits de voisinage. « Depuis plusieurs années, on constate la progression de dossiers liés à des comportements violents dans la vie quotidienne pour des motifs liés au vivre ensemble. On peut là parler de véritable tendance, qui s'observe surtout au niveau des critères dits "raciaux" et de l'orientation sexuelle. Les discours de haine sur Internet sont de plus en plus accompagnés de passages à l’acte, principalement dans l’espace public et lors de conflits de voisinage (85% des dossiers !) ».

Unia en justice

Lorsqu’il est question de discrimination, le Centre privilégie avant tout la solution par la conciliation. Une action en justice n’est entamée que lorsque la conciliation s’avère impossible ou a échoué. En 2015, le Centre a entamé une action en justice dans 14 dossiers, 7 dans des procédures civiles et 7 dans des procédures pénales.