Trente ans et toutes ses dents?

29 Juillet 2011
Critère de discrimination: Racisme

Nouveaux défis pour la loi Moureaux
Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende (...) quiconque incite à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne en raison de sa race, de sa couleur, de son ascendance ou de son origine nationale ou ethnique (art. 1).
La loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, mieux connue sous le nom de « loi antiracisme » ou « loi Moureaux », a introduit dans notre droit pénal une petite révolution.

Trente ans plus tard, ce dispositif juridique s'est vu consolidé et étoffé. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme est créé par la loi du 15 février 1993. En 2003 est votée la loi générale antidiscrimination qui protège aussi les autres motifs (handicap, orientation sexuelle, âge, convictions politiques et religieuses, etc.). Suivent encore les lois du 10 mai 2007, qui renforcent l'arsenal juridique en introduisant notamment le principe de glissement de la charge de la preuve et celui de mobile abject (des circonstances aggravantes sont appliquées pour certaines infractions motivées par des mobiles racistes). Par ailleurs, un volet civil est inséré qui permet (via l’action en cessation) de faire cesser immédiatement la/une discrimination constatée et d’interdire sa répétition. Plus récemment, plusieurs décrets et ordonnances ont été promulgués pour compléter le dispositif au niveau des des Régions et des Communautés.

Le chemin parcouru est donc considérable. Pourtant, pendant plus de 10 ans, la justice s’est montrée hésitante. Ainsi, en 1983, une chambre du conseil estimait que le terme « bougnoule » ne pouvait être considéré comme une insulte raciste... Mais les choses changent au milieu des années 90. On assiste au développement d'une jurisprudence intéressante, notamment suite à la création du Centre qui a le pouvoir d’ester en justice. Des modifications législatives et une interprétation plus extensive de certains concepts (notamment la notion d’incitation à la haine, la violence ou la discrimination) permettent au dispositif d'atteindre sa "vitesse de croisière".

Certaines victoires symboliques (Vlaams Blok, Feryn…) confèrent au dispositif une meilleure assise et renforcent sa crédibilité. Mais l'acquis le plus important est sans doute que ce dispositif juridique a été intériorisé dans la société belge. Plus personne ne contesterait aujourd'hui ses principes, ses objectifs et disons même les valeurs sur lesquelles la loi repose.

Plus personne? Ou presque. La loi antiracisme n'arrête pas les poussées extrémistes. Elle reste relativement inopérante lorsqu'elle est confrontée au discours des mouvements d'extrême-droite. C'est là sans doute le principal talon d'Achille du système, mais prouve que le combat doit aussi être mené à d’autres niveaux : au niveau politique, à l’école, dans la vie de tous les jours ...

De nouvelles formes de racisme

La loi doit aussi faire face à de nouveaux défis. Depuis quelques années, le racisme change peu à peu de visage. Alors qu'il était le plus souvent fondé sur des critères de prétendue race ou de couleur de peau, ou sur des idéologies politiques structurées, on observe un recentrage des signalements sur la multiculturalité, l'antisémitisme, l'islamophobie et l’anti-tsiganisme.

Par ailleurs, concomitamment au développement de l'Internet, on assiste à la progression de la "haine en ligne" – ou "cyberhaine". Internet est devenu l'exutoire d'un racisme latent, ainsi que le lieu d'expression principal de propos racistes et de haine. Plus de ¼ des signalements "racisme" enregistrés au Centre ont aujourd'hui trait à Internet. Or la loi antiracisme n'est pas adaptée à cette réalité, qui nécessite des réponses ad hoc, que le Centre s’efforce de développer.

Le drame survenu cette semaine en Norvège montre toute l'actualité de la lutte contre cette forme contemporaine de racisme.

Enfin, le racisme prend souvent des formes insidieuses, quotidiennes, difficiles à prouver. La loi antiracisme montre donc des limites, mais elle fixe au moins des bornes et permet d'agir en aval, par la voie judiciaire s’il le faut. Le travail en amont reste quant à lui indispensable.

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