Racisme et pratiques de la médecine

21 Février 2024
Domaine d'action: Emploi
Critère de discrimination: Racisme

« Cela m’inquiète du point de vue neurologique, à cause de sa raideur de nuque. Vous êtes sûr qu’il ne faudrait pas l’examiner ? », demande Sarah au médecin de garde ce soir-là. Sarah est interne dans un hôpital bruxellois et vient de donner la première consultation à une patiente algérienne. 

« Ce n’est pas une raideur de nuque, Sarah », lui répond le médecin.
« C’est le syndrome méditerranéen. » 

    C’est la première fois que Sarah entend parler de ce syndrome. Il désigne une croyance parmi certains professionnels de la santé selon laquelle les patients issus du pourtour méditerranéen exagèrent leurs plaintes ou la manifestation de leurs symptômes. 

    Des témoignages mettant en évidence le racisme dans le secteur des soins peinent à émerger sur le devant de la scène médicale belge. Ils sont pourtant légion pour qui est directement concerné ou qui sait tendre l’oreille. Chaque année, Unia reçoit une trentaine de signalements similaires à l’exemple repris plus haut. Et ces signalements ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Ces récits de vie rallient souvent d’autres critères : genre, âge, handicap...  

    Oser parler du racisme dans la profession médicale 

    Unia, en tant qu’organe de promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et promeut l’égalité dans tous les domaines de la société. Contrairement à d’autres secteurs, tels que le logement et l’emploi par exemple, la santé est souvent considérée comme préservée de pratiques inégalitaires. Il était tabou, et il est encore difficile, de concevoir que de tels problèmes adviennent dans un monde intrinsèquement humaniste et dont le soin est la priorité. 

    Un simple regard vers l’histoire de la médecine offre cependant une piste d’explication à cette réalité. Dans sa série sur le racisme, la xénophobie, la discrimination et la santé de 2022, le journal The Lancet invitait d’ailleurs la profession médicale à se pencher sur son passé pour mieux comprendre le présent. Des scientifiques et médecins ont de tout temps eu des pratiques qui ont contribué ou reflété le racisme de la société. Alors que l’espèce humaine est l’une des plus homogènes sur Terre, les scientifiques du XVIIIe siècle ont catégorisé les humains selon une hiérarchie sociale dont les traces sont encore visibles aujourd’hui. Cette catégorisation a elle-même influencé les théories eugénistes du XXe siècle, abordées dans le numéro d’Ethica Clinica, « Le 75e anniversaire du procès des médecins de Nuremberg ». 

    De nos jours, en plus des témoignages évoqués ci-dessus, des chercheurs et chercheuses travaillent sur le sujet du racisme et de la santé. Leurs études confirment qu’il existe bel et bien un problème de discriminations et d’inégalités raciales en Belgique. Par exemple, selon des données datant d’une dizaine d’années, les personnes immigrées de première génération se sentaient cinq fois plus discriminées lors d’un contact avec leur médecin traitant que le reste de la population. Elles subissaient aussi des inégalités dans leur accès aux soins, leur traitement et les conséquences de celui-ci sur leur état de santé. À l’époque, cette étude classait la Belgique comme l’un des pires élèves en Europe. 

    Plus récemment, on apprenait qu’il valait mieux s’appeler « Dubois » que « Alaoui » lors d’une prise en charge pour un problème de santé mentale par un généraliste. Malgré toutes ces recherches, les données disponibles en Belgique ne permettent pas de mesurer les inégalités en santé sur de nombreux critères dits « raciaux », comme la couleur de peau. Il serait ainsi impossible de répliquer ici une étude états-unienne qui constatait que le risque de mortalité néonatale est trois fois plus élevé chez les enfants noirs que chez les enfants blancs, et que cette pénalité est réduite de moitié si l’enfant noir est traité par un médecin noir lui aussi.

    Récolter des données pour trouver des solutions adaptées 

    Le rapport d’Unia, « Improving Equality Data Collection in Belgium » recommande de combler ces lacunes en matière de collecte de données. « Mesurer, c’est savoir » et il est indispensable de récolter des données pour mieux comprendre la réalité. En plus de mesurer, il est tout autant nécessaire de construire des solutions adaptées et d’agir aux niveaux des pratiques et procédures structurelles pour éliminer les inégalités. 

    Partout dans le monde, des recueils de ‘best practice’ émergent pour améliorer la prise en charge des patients de toute origine. En Australie, par exemple, l’institut national de santé et de bien-être souligne que « les structures, les politiques et les processus du système de santé jouent tous un rôle dans la prestation de soins de santé respectueux des cultures et origines des patients ». Cet institut publie d’ailleurs régulièrement les ‘best practice’ sur leur site internet et observe le progrès des hôpitaux quant à l’implémentation de celles-ci. En Belgique, des étudiants et jeunes professionnels de santé ont récemment fondé AfroMedica et travaillent depuis pour un enseignement, une pratique et une recherche plus équitables.

    Implémenter des compétences transculturelles dans la formation des soignants 

    Les compétences transculturelles sont un pilier indispensable pour assurer une prise en charge de qualité. Unia travaille depuis de nombreuses années au développement des compétences transculturelles des intervenants de terrain afin de mieux s’attaquer aux discriminations. L’implémentation des compétences transculturelles dans la formation du personnel soignant est fondamentale dans la prise en charge de la personne en milieu hospitalier. Nous vivons dans un monde où les frontières territoriales se sont transformées en frontières identitaires. Il semblerait que nous ayons pris pour habitude de catégoriser et hiérarchiser les éléments qui nous entourent afin de mieux les comprendre mais également afin de mieux les contrôler à notre avantage. Parfois, nous ne nous soucions pas de ce que nous causons comme dommage aux autres par individualisme mais nous attendons des autres qu’ils assimilent et appliquent les règles que nous établissons comme norme. Le monde est devenu un espace qu’il faut posséder ; le partager relève encore trop souvent de l’ordre des concepts philosophiques.  

    Cette tendance est telle que nous ne prenons plus le temps de comprendre la personne en face de nous car, à travers son voile, son âge ou sa couleur de peau nous pensons déjà la connaître et la maîtriser. Au départ de cette logique ethnocentrique et dans le cadre précis de la santé, nous entendons le nombre grandissant de patients déplorant leur prise en charge par le personnel soignant. Bien souvent, le personnel reproduit, en toute bonne foi, des principes et des règles qu’il a appris dans le cadre de son parcours d’apprentissage, sans même se rendre compte que certaines approches conduisent purement et simplement à certaines situations elles-mêmes constitutives de discriminations et d’inégalités dans l’accès aux soins de santé.  

    « Art. 5 : Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à des prestations de qualité répondant à ses besoins et ce, dans le respect de sa dignité humaine et de son autonomie et sans qu’une distinction d’aucune sorte ne soit faite. » (Loi relative aux droits du patient - 22 août 2002). 

    Une enquête pour mieux comprendre les expériences de discriminations raciales des patients

    Unia plaide depuis de nombreuses années pour l’acquisition de compétences transculturelles dans le cursus de base des futurs soignants. L’acquisition de ces compétences devrait, selon nous, permettre au personnel soignant de pratiquer son métier en tenant mieux compte de la diversité culturelle des patients et de leur famille et de modifier les relations professionnelles qu’ils entretiennent entre eux. 

    Début 2024, Unia a lancé une enquête pour mieux comprendre les expériences de discriminations raciales des patients et l’impact de celles-ci sur leurs parcours de soin. À notre connaissance, cette enquête est une première en Belgique. Cela étant, nous ne comptons pas nous arrêter là. Il s’agira ensuite de déplacer le regard au-delà des expériences de racisme pour comprendre les structures qui les génèrent ou les renforcent. Le racisme est un problème structurel, avant d’être individuel. Les conditions de travail difficiles, le manque de temps et le manque de personnel ne laissent que peu d’espace aux professionnels de la santé pour interroger et adapter leur pratique. Unia continuera de travailler, du côté des soignants et des patients, pour que toutes et tous puissent mener une vie dans le respect et l’équité. 

    Article paru dans Ethica Clinica sous le titre « Racisme et pratique de la médecine »

    Pour Unia, par Cécile Bartholomeeusen et Fatima Hanine, Ethica Clinica, revue d’éthique destinée à tous les professionnels de la santé, n°112, « Du racisme dans le monde des soins », février 2024.

    UNESSA asbl - 112 - Du racisme dans le monde des soins

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