Les interviews de l’été : Hamadi El Boubsi

22 Juillet 2013
Critère de discrimination: Racisme

Aujourd’hui, dans le cadre de la publication '20 ans d’action. 20 regards', le Centre dévoile une deuxième interview, celle d’Hamadi El Boubsi.

Auteur, comédien, conteur, chanteur et metteur en scène, Hamadi s’exprime depuis vingt-cinq ans, au travers de contes et autres créations, sur la mémoire, l’exil ou encore les extrémismes religieux. « Je ne suis pas un témoin, je suis un acteur. »

D'emblée, le propos d'Hamadi est politique et ne prend pas de pincettes : « Tant que l'Europe se pensera blanche, chétienne, masculine et hétérosexuelle, il y aura toujours un rapport de force déséquilibré entre cette société dominante et toutes les minorités, pourtant nombreuses sur le territoire européen. Continuer à traiter ces minorités comme des corps étrangers explique sans doute les dérives sectaires, intégristes qui émergent ça et là, que l'on ne doit pas accepter, mais essayer de comprendre pour les dépasser. Le renvoi sans cesse aux origines, le refus de l'acceptation de l'autre empêchent une inscription dans le concret d'aujourd'hui. » Pour cet artiste engagé - pléonasme selon Hamadi -, ce qui se passe avec ces jeunes qui partent en Syrie est très symptomatique de cette situation et analyser ce phénomène comme étant la faute des parents à qui on devrait enlever les allocations familiales, ou même des imams est une lecture simpliste et dangereuse. « Qu'est-ce que la société belge a mis en place pour que ces jeunes aiment ses valeurs, sa culture ? On voudrait nous faire croire que ces jeunes sont des enragés endoctrinés. Moi, je crois plutôt à une société responsable de ses déviances. »

C'est sans doute pour cela qu'il réagit de manière abrupte lorsque l'on évoque ses origines : « Me renvoyer à l'exil, à mes origines, n'est-ce pas annihiler mon histoire de 50 ans ici ? On maintient les gens issus de l'immigration dans un rôle de témoin, comme s'ils étaient hors processus. Or je refuse cette position extéreure : je ne suis pas un témoin, je suis acteur d’une citoyennté à inventer en tenant compte de la multiplicité des regards. Mais en même temps me donner la parole en tant qu’acteur, cela voudrait dire que le pouvoir est à partager sur pied d’égalité. Je ne suis pas sûr que c'est ce que souhaite la majorité. »

Un moteur de création

S'il refuse de se laisser enfermer dans son histoire personnelle, ses pièces traitent pourtant des questions de l'exil et de l'immigration, avec un regard et un point d’ancrage propres à son parcours de vie. Avec sa pièce « Les Barbares », Hamadi aborde le quatrième volet d'un quadriptyque consacré à ces thématiques. Premier tableau : au travers de sa pièce « Dieu », il investigue la question de la religion, des églises et de leurs dérives. Dans « Papa est en voyage » (Prix de la critique, meilleur Seul en scène 2008), il retrace son arrivée en Belgique à l'âge de six ans, entre terres berbères et ciel pluvieux de Belgique. « Sans ailes et sans racines » (Coup de coeur de la presse au Festival d'Avignon 2009) décortique les relations conflictuelles entre un père immigré, converti à la pensée des Lumières et qui a fait le choix des valeurs démocratiques, de l’égalité hommes-femmes, de la liberté de pensée, et un fils qui, lui, se réfugie dans la religion et les traditions pour tenter d'exister. Enfin, son dernier spectacle « Les Barbares » aborde la question de l'exil, du clandestin qui vient chercher en Europe ce qui lui est dû, le pain pour faire vivre sa famille dignement. Mais comme le souligne Hamadi, « Je n’écris pas sur la Communauté pour la Communauté. J’écris des histoires universelles ».

Au-delà de ses propres créations, Hamadi déplore le manque d'ouverture des écoles d’art, des théâtres à l'égard d'auteurs issus de la diversité, qui dénote là-aussi un point de vue occidentalo-centriste : « On ne joue pas d’auteurs grecs, espagnols, marocains contemporains dans les écoles de théâtre, alors que même que le théâtre, l’art se nourrit par définition de la pâte humaine. De plus en plus de jeunes comédiens issus de l'immigration et qui sortent de ces écoles sont uniquement sollicités pour leur faciès. Cette année, un jeune d’origine arabe a joué « Hamlet ». Mais c’est un fait rarissime. D’une manière plus large, on ne voit pas dans les médias de figures représentatives des différentes communautés de ce pays. Après on s’étonne que beaucoup se tournent vers la parabole pour capter des chaînes lointaines et trouver cette identité déficitaire. L’on crée aussi des espaces clivés, à part, où l’on donne de la place aux auteurs issus de l’immigration, ce qui renforce les communautarismes. Cela ne va pas. » À ce propos, il cite volontiers un proverbe africain auquel il semble attaché puisqu'on le retrouve également  sur son site Internet : « Tant que les lions n'auront pas leur conteur, les récits de chasse seront toujours faits à l'avantage des chasseurs ». Mais dans le même temps, il prône la véritable interculturalité : « Quand je propose des animations dans des classes d’humanités à Molenbeek ou Saint-Gilles et que je mets au programme Shakespeare ou Molière, on me dit : “ Fais-leur faire du rap, du slam ”. Rien à faire, moi, du slam ! » 

Lutter contre l’assignation identitaire

Même si la révolte coule dans les propos de cet artiste, Hamadi reconnaît pourtant qu'il y a des ponts qui sont jetés comme la loi Moureaux ou la création du Centre pour l'égalité des chances. Des pas effectués pour atteindre le respect de l'autre et qui sont bon à prendre. Mais dans le même temps, il dénonce la faillite d’un système pour inclure en son sein la diversité pourtant bien présente. Parmi les échecs de ce système, l’école figure en bonne place comme étant le lieu de la reproduction des inégalités : « Je me rappelle à la fin de mes études primaires : tous mes copains ont été inscrits en technique et en professionnelle. J’aurais dû suivre le même chemin : mes parents ne pouvaient pas me soutenir, ma mère étant analphabète et mon père bien trop occupé à trimer  pour faire survivre sa famille. » Pourtant, Hamadi a eu la chance de faire la rencontre de personnes déterminantes, comme cette institutrice qui lui a donné rendez-vous en fin de sixième primaire, précisément le 20 juillet devant l’athénée Fernand Blum et qui, prenant de son temps en pleines vacances scolaires, l’a inscrit en humanités classiques. « Un accès à un socle commun qui permet une réelle mixité. Au lieu de cela, la société belge renforce les inégalités, renvoie les minorités vers leur altérité, en étant finalement éminemment communautariste. Et quand elle parle d’échec de l’intégration, c’est comme un gifle à trois générations. Moi je me dis que la société belge devrait plutôt s’excuser d’avoir infligé des traitements inhumains à nos parents, en les ayant accueillis comme du bétail et les ayant exploités dans les mines, les usines, plutôt que parler de cette immigration comme d’un échec. »

Pour Hamadi, il est urgent de sortir de la dialectique ˮEux & Nousˮ et quand il cite un politique, entendu au Journal parlé le matin même de notre interview, qui disait : "Il faut défendre nos valeurs", en évoquant l’intégrisme, Hamadi rétorque : « L’idée n’est pas de se défendre, mais bien de les faire aimer, ces valeurs, plutôt que de les imposer. Il faut partager plutôt que diviser, inclure plutôt qu’exclure. On s’engage dans quelque chose de dangereux quand on considère l’autre comme Autre, hors citoyenneté. Cela ne peut mener qu’au repli identitaire. Et la crise ne va sûrement rien arranger. C’est une vision de gauche que de vouloir faire place à tous. C’est complexe, mais il faut accepter la complexité et lui permettre de se déployer. » 

'20 ans d'action. 20 regards. Réflexions sur les premières missions du Centre' sera disponible sur www.diversite.be fin juillet 2013.

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