Test de situation : la différence entre appartenir à la société, ou pas (opinion sur Knack.be).

23 Juin 2020
Domaine d'action: Emploi
Critère de discrimination: RacismeHandicapÂge

Cette opinion a été publiée le 17 juin sur Knack.be (en version originale en néerlandais).

Les avantages et les inconvénients des tests de situation font une fois de plus l'objet de vives discussions en vue de s'attaquer résolument à la discrimination. Pour Unia, c'est clair : sans de tels tests l’on ne peut pas lutter efficacement contre les différentes formes de discrimination. Ce serait sinon se battre à armes inégales. Sans les résultats des tests de situation et sans preuves tangibles, il est souvent difficile de mener à son terme une affaire (même quand les faits ne font pas de doutes).  

S'agit-il seulement d'une discussion sémantique sur l’appellation "test de situation" ? Quiconque ose encore le prétendre aujourd'hui, montre surtout qu'il n'a pas encore bien compris les enjeux du débat. La discrimination existe, et pour la combattre réellement, les tests de situation sont nécessaires. De nombreux chercheurs sérieux le confirment. Fermer les yeux sur la réalité pourrait s'avérer être un très mauvais calcul. 

Pourquoi ces tests ?   

Unia, en tant qu'institution confrontée à diverses formes de discrimination et de racisme, voit les choses ainsi : un contrôle ciblé peut confirmer un soupçon de discrimination et renforcer la position des victimes de discrimination en vue du dialogue qui s'ensuivra.  

Prenons un cas très concret. Une femme nous signale qu'elle a postulé pour une offre d'emploi. Elle répond à toutes les exigences de l'emploi, mais on lui dit qu'il n’est plus vacant. Après quelques semaines, elle constate que l'offre d'emploi est toujours en ligne.    

Comment savoir si la requérante a été rejetée en raison de son âge, de son handicap ou de son origine ? Bien sûr, on peut appeler l'employeur. La plupart du temps il dira : non, il n’y a pas eu de discrimination - et c'est là que ça s'arrête. Pour les formes de discrimination pouvant entraîner des sanctions pénales (dites critères raciaux), nous avons toujours la possibilité de demander à l'inspection fédérale du travail de faire un test de situation après un signalement à Unia et après autorisation de l'auditorat du travail. L'inspection examine ensuite si elle peut répondre à cette demande.

Au niveau fédéral donc, en principe, quelque chose est possible de toute façon. La Région bruxelloise a développé son propre système d'"appels mystère", dans le cadre duquel l'inspection effectue également des tests. Bravo aux ministres qui ont fait développer des systèmes et qui continueront à le faire. Cependant, les systèmes qui ont été conçus ne sont pas vraiment simples. Il faut faire plus.    

Une nouvelle pratique  

Cela pourrait être très simple. Unia reçoit un signalement se rapportant à une discrimination en matière d'emploi. Après une première analyse, il y a un soupçon de discrimination. Nous transmettons le dossier à l'inspection, fédérale ou régionale. Cette dernier envoie deux CV similaires pour l'offre d'emploi en question, où diffère seulement un critère protégé. L'inspection nous transmet les résultats.   

Il y a discrimination ? Unia entre en dialogue avec l'employeur ou l'agent immobilier, avec un dossier solide contenant une preuve. D'après notre expérience des dossiers "faciles", ceux dans lesquels nous avons des preuves - parfois il s’agit d’un courrier interne envoyé par erreur où l’on peut lire : « Pas de Marocains » - il n’y a pas d’échappatoire pour cet employeur. Il y a ensuite des excuses formulées à la victime, des mesures structurelles prises pour prévenir les fautes, des compensations pour les dommages causés. S'ils ne viennent pas, nous allons au tribunal, et nous gagnons quatre affaires sur cinq.  

Qu’est-il utile de faire ? Edicter une réglementation donnant à l'inspection la compétence et les directives pour effectuer ce test. Pas plus que cela. Pour être clair : le test n'est pas seulement dans l'intérêt des personnes qui signalent une discrimination, mais aussi dans l'intérêt des employeurs. Un test est également là pour montrer qu'il n'y a eu pas de discrimination. La personne qui a "réussi" un test est à l’abri d’un nouveau test pour un moment et cela évite ainsi une tension inutile ou de longues discussions sur ce qui s'est passé exactement. Celui qui se montre sous son vrai jour se trouve piégé pour concurrence déloyale.  

Si les deux CV reçoivent une réponse positive, nous pouvons également en informer le requérant. Au moins, aura-t-il le sentiment que sa demande est prise au sérieux. Un même système peut également être mis en place pour le marché locatif du logement.  

À l’heure actuelle, nous devons encore trop souvent décevoir les gens, ce qui leur donne le sentiment que leur problème n'est pas suffisamment important.  

Un monitoring indépendant ?  

Et qu’en est-il des "tests de situation" – pardon du "système de monitoring" - annoncés par le Gouvernement flamand le 12 juin ? N’est-ce pas utile ? Eh bien, c'est utile. Pas pour savoir si la discrimination existe, cela nous le savons depuis des décennies. Nous savons aussi depuis longtemps que nous ne faisons pas aussi bien que d'autres pays. Mais cela ne peut pas nuire au fait que les chercheurs dressent aujourd'hui un tableau de plus en plus précis de la discrimination. Certainement si les résultats de ce contrôle sont également partagés avec Unia, de sorte qu'ils aient non seulement un effet de sensibilisation et de dissuasion - il y a moins de discrimination si l'on sait qu'elle est testée - mais aussi la possibilité d'être sanctionné par une autorité compétente. Toute personne qui se fait prendre peut être interpellée par Unia, surtout si des dossiers ont été ouverts contre un employeur ou un propriétaire dans le passé, mais où une preuve solide de discrimination faisait défaut.  

Mais permettez-nous aussi d'être sceptiques. Tout cela fait-il partie d'une forme d'autorégulation sectorielle ? Nous avons déjà entendu cela ces dernières années. « Un système d'autorégulation doit être développé, y compris l'échantillonnage ciblé comme outil de sensibilisation, en particulier lorsque cette approche est appropriée dans le secteur ». Cette phrase n'est pas tirée de la résolution de mercredi dernier, mais de celle du 30 juin 2015. À l'exception du secteur des titres-services et de l'intérim, aucun secteur n'a encore eu recours à ces tests par le biais de l'autorégulation. Il s'agissait donc principalement de belles paroles. Sans engagement concret à partir de la nouvelle résolution, nous nous réservons le droit d'être très sceptiques. Il est clair que la volonté politique ne manque pas de la part du ministre, mais si les secteurs sont libres d'agir, il se pourrait bien que cela reste au stade des intentions. Une fois de plus. 

Ce que les chercheurs vont faire, ce que les secteurs peuvent faire grâce à l'autorégulation et ce que nous proposons ci-dessus, tout cela peut parfaitement coexister. Plus encore, ils peuvent se renforcer mutuellement. Par exemple, les secteurs dans lesquels les chercheurs observent un degré de discrimination plus élevé devraient être davantage surveillés par l'inspection, également de manière proactive si cela est vraiment nécessaire. Les résultats de l'autorégulation qui sont partagés de manière transparente par les secteurs (et non pas à l’interne comme c'est le cas actuellement) peuvent aider Unia à envisager de transmettre un dossier à l'inspection. Cela se produira alors plus rapidement dans les secteurs où les résultats de l'autorégulation sont problématiques.     

On peut voir ainsi comment une politique anti-discrimination complète prend forme ? Il s'agit de faire des plans et de les mettre en œuvre - et Unia est prêt à soutenir tout ministre qui souhaite donner forme à cette politique.     

Faire la différence  

C'est à cela que tendent les tests de situation : voulons-nous vraiment aider les victimes de discrimination à résoudre leur problème ? Pensons-nous que leur problème est suffisamment important pour prendre des mesures qui peuvent réellement les aider ? Alors il faut procéder à des tests de situation. Tant que nous ne le ferons pas, cela générera forcément de la frustration chez les gens. Leur fera sentir qu’ils sont des citoyens de seconde zone. Voulez-vous leur faire ressentir cela ? D'accord. Alors, dites-le en ces termes. Dites que tout le monde a sa place dans la société, mais ne faites rien de concret pour que cela devienne effectif - cela ne peut pas durer. Il ne s’agit pas d’un symbole. Il s'agit de personnes. Des gens qui appartiennent à notre société, ou pas.  
  
Els Keytsman, directrice d’Unia

Maarten Huvenne, chef de service-adjoint, Unia.

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